Philosophie de Vie Chez les Flibustiers et les Pirates :


Toutes les nationalités européennes ( France, Angleterre, Pays de Galles, Ecosse, Irlande, Suède, Danemark, Hollande, Espagne ) sont présentes et cohabitent dans la confrérie de la côte. Sans oublier les Indiens d'Amérique et les Africains, hommes libres ou esclaves évadés, qui régulièrement constituent plus de la moitié d'un équipage. Très souvent aussi, les noirs sont les meilleurs combattants, ceux qui montent les premiers à l'abordage. Les flibustiers sont très tolérants en matière de religion, de nationalité, de race.

Il n'y a aucune condition sociale, religieuse ou nationale au recrutement des flibustiers. L'Europe exporte vers les îles une partie de ses bas-fonds : repris de justice, domestiques en fuite, mendiants et opposants politiques ou religieux... qui rejoignent les rangs de la flibuste. Il suffit d'avoir du courage, de l'endurance, de la férocité et d'accepter les règles en cours dans la confrérie. Les nobles côtoieront les mendiants, les illettrés seront les confrères des savants…

Après un abordage, il est courant qu'une partie de l'équipage capturé passe du côté des flibustiers. Ils savent qu'ils y seront mieux traités et courent la chance de s'enrichir. En conséquence, beaucoup de flibustiers sont d'excellents marins, déserteurs des marines de guerre ou des navires marchands. Et quand les flibustiers manquent d'hommes, ils vont en trouver là où les travailleurs sont les plus exploités. Parmi les pêcheurs des grands bancs de Terre-Neuve, par exemple. Pour ces pêcheurs, comme pour les autres, partir pour les îles est un moyen de refuser la misère et de sortir de sa condition. Une vision égalitaire, un contrat social pirate.

Dans les mers des Antilles, la société des flibustiers a développé un caractère original. Egalitaire, elle se constitue en réaction à la société maritime strictement hiérarchisée des XVIIe et XVIIIe siècle. Les flibustiers élisent leur chef et s'il se montre incompétent ou injuste, il risque l'abandon sur une île déserte. Le capitaine flibustier ne peut jamais aller contre la volonté de ses hommes. Sauf au plus fort de la bataille, les décisions capitales sont prises collectivement. Chez les flibustiers le bateau est un bien commun. Une convention ou «une chasse-partie» (terme dérivé de charte-partie) règle les rapports entre les hommes. On signe les articles de la charte en jurant sur la bible, ou à défaut sur une hache, de les observer. Ce contrat stipule un certain ordre et l'obéissance au chef, il met en valeur la solidarité et le dialogue. On y établit les compensations pour les blessures et récompenses pour les actes d'héroïsme. Le mérite, le courage sont toujours au sommet des valeurs pirates.

Dans la communauté pirate, tout ce qui peut nuire à la cohésion et à l'intérêt du groupe est interdit : désertion lors du combat, détournement d'une part du butin, introduction de femmes à bord, les rixes sont interdites à bord, certaines chasse-parties interdisent le viol. Le quartier-maître, les gabiers (matelot chargé de l'entretien, de la manœuvre des voiles, du gréement) et les canonniers sont désignés au mérite.

Barème prévu en cas de mutilation (Antilles au XVIIe siècle)
Perte des yeux : 2000 piastres ou 20 esclaves
Perte des deux jambes : 1500 piastres ou 15 esclaves
Perte du bras droit : 600 piastres ou 6 esclaves
Perte du bras gauche : 500 piastres ou 5 esclaves...

La perte d'un seul œil est à l'égal de la perte d'un doigt. Parce qu'on peut se débrouiller plus facilement avec un seul œil qu'avec une main éclopée !

 

Justice.. ou vengeance ?
Quand des flibustiers ou des pirates capturent un navire marchand, ils demandent aux marins de l'équipage si leur maître les traitent bien. Si l'équipage se plaint de mauvais traitements, les coupables sont punis de manière radicale. On coupe le bras d'un capitaine qui aime trop s'en servir pour frapper ses matelots. On attache au grand mât des officiers et on les lapide en leur lançant des morceaux de bouteilles brisées. On leur donne le fouet et bien d'autres mauvais traitements.

L'équipage du pirate Bartholomew Roberts considère cette tâche de «gardien des droits et libertés contre l'opression des riches et des puissants» suffisamment importante pour désigner l'un d'entre eux à titre de «dispensateur de justice». Une sorte de juge officiel chargé d'écouter les plaintes de l'équipage capturé et de décider des châtiments à imposer aux officiers dénoncés. Au-delà de vouloir se faire justice, cette habitude favorise bien sûr le recrutement. Parce qu'après avoir dénoncé leurs officiers pour comportement tyrannique, les marins n'ont plus d'autre choix que de passer du côté des pirates.

Cependant, le contraire est aussi vrai. Si l'équipage capturé affirme être bien traité, les flibustiers vont jusqu'à gracier les capitaines marchands et les officiers. Parfois même, ils sont récompensés! Ou encore, on négocie une entente. Il est arrivé qu'un capitaine pirate décide d'exécuter un capitaine marchand qui s'était trop bien défendu. Quand un des flibustiers s'oppose, disant qu'il a déjà navigué avec ce marchand qui est juste et bon; le marchand est gracié. C'est vraiment un brave, parce que plutôt que s'en aller, il propose aux flibustiers de racheter son navire et sa marchandise. On négocie, on s'entend sur le prix, et on repart chacun de son côté plutôt satisfait!

Les flibustiers sont aussi capables d'avoir pitié d'un équipage mal en point. Un navire complètement délabré est capturé, et devant les conditions de vie lamentables des marins, on leur offre de se joindre aux flibustiers.
L'équipage refuse. Les marins souhaitent retrouver leur famille. «Dans ce cas, concluent les flibustiers, on vous laisse repartir avec votre cargaison afin que vous ne perdiez pas votre salaire.» Cependant, on remet une lettre à l'intention de l'armateur l'avisant qu'il est inhumain de laisser naviguer des marins sur un navire en si mauvaise condition et que si jamais un autre navire de cet armateur est repris dans un tel état de délabrement, les pirates iront eux-mêmes demander des comptes à son propriétaire! Pour appuyer cet avertissement, le capitaine et les officiers de ce navire sont évidemment punis comme il se doit.

 

Le grand rêve flibustier :
Les flibustiers ont laissé aussi peu de traces qu'ils pouvaient de leurs activités. C'est justement cette rareté des informations qui fait rêver. Notre imagination comble les vides.
Et puis, je soupçonne qu'à l'époque certains auteurs leurs ont prêtés des idées, des projets qu'ils n'ont peut-être jamais précisés eux-mêmes.
En prêtant à des forbans de la pire espèce des idées égalitaires, en mettant dans leur bouche des paroles révolutionnaires, je crois qu'on voulait choquer les gens «bien pensants».
Parce que si des bandits peuvent avoir une conception de la justice et de la démocratie plus avancée que les honnêtes gens, il y a de quoi les décider eux aussi à revendiquer pour le mieux. Cela permettait de publier quelques idées révolutionnaires.

C'était encore l'époque des rois, ne l'oublions pas, et prétendre qu'une bande de pirates ont fondé une société où chaque homme vote les lois communes, où les chefs sont élus pour une période maximale de trois ans, où les esclaves sont libérés en vertu du principe de l'égalité de tous les humains, où on aurait même inventé une langue commune à tous... en un mot, ces idées aujourd'hui banales pouvaient à l'époque vous envoyer en prison.
Mais si on dit ne rapporter que des histoires de pirates... le risque est moins grand! Ce qui n'empêche pas que parmi les flibustiers se trouvent bon nombre de radicaux anglais qui ont fui leur pays à l'époque de la révolution anglaise (vers 1660).
Un peu avant cela, en France, une série de révoltes paysannes oblige plusieurs rebelles à traverser vers les Antilles. Il y a aussi des fermiers dépossédés, des soldats démobilisés, des ouvriers au chômage, des protestants français expulsés pour cause d'intolérance religieuse.
Et puis des bandits, des prostitués, des prisonniers politiques, tous déportés.
En gros, une vraie société des nations. Mieux encore, dans les Antilles, tout ce beau monde est libre d'agir à sa guise, aucune nation n'étant assez puissante pour les soumettre.
La grande réussite des flibustiers est justement de réunir autant de nations ennemies dans une confrérie violente et floue, mais unie par quelques solides principes d'égalité.

 

Le matelotage
Les flibustiers se joignent toujours deux ensemble et se nomment l'un et l'autre «matelot».
Cette pratique se nomme «le matelotage».
L'un soutient l'autre, le soigne en cas de maladie ou de blessure, le protège dans les coups durs, et le survivant hérite des biens du trépassé. On raconte même que si l'un se marie, au lendemain du mariage, le second rapplique à la maison et le remplace la nuit suivante auprès de la mariée.
Chose certaine, lorsque des «matelots» se séparent, cela donne parfois lieu à de grandes scènes de larmes. Associés pour le meilleur et pour le pire, certains flibustiers en «matelotage» développaient un véritable sentiment amoureux envers leur compagnon.
La flibusterie est un milieu où les femmes sont pratiquement absentes, ça ne laisse pas beaucoup de choix pour le cœur en mal d'amour !

 

 

 

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